Valentine Cuny-Le Callet vient de remporter le prix Fnac France Inter avec son roman graphique Perpendiculaire au soleil. Il s’agit d’un formidable plaidoyer contre la peine de mort.
En 2016, à l’âge de 19 ans, Valentine Cuny-Le Callet entame une correspondance avec Renaldo McGirth. Il est le plus jeune condamné à mort dans les prisons américaines. Accusé d’avoir commis un meurtre à l’âge de 18 ans sur une vieille dame, il est incarcéré depuis dix ans en Floride. De cette correspondance va naître un projet, un roman graphique pour raconter la violence des prisons, le racisme et l’absurdité de la peine de mort. Perpendiculaire au soleil est né.
Perpendiculaire au Soleil : la genèse
« Un système pénal ne peut pas tenir sans la peine de capitale », déclarait à la radio Marine Le Pen en 2015, peu après la tuerie de Charlie Hebdo. C’est le retour du débat de la peine de mort dans le débat public. Au lendemain des attentats du 13 novembre, Danielle Mérian la militante à l’ACAT, « L’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture », parlait de fraternité plutôt que de de vengeance. C’est ce qui a décidé Valentine Cuny-Le Callet à envoyer sa lettre d’adhésion au programme de correspondance avec un condamné à mort de l’ACAT.
En mai 2016 Valentine Cuny-Le Callet se voit attribuer un correspondant aux États-Unis. « Chère amie en l’ACAT, suite à votre demande, j’ai le plaisir de vous communiquer les coordonnées de votre correspondant. Je l’ai informé qu’il devait s’attendre à recevoir une correspondance de votre part. » Pour sa première lettre, la jeune femme doit se présenter « simplement » à son nouveau correspondant, Renaldo McGirth.
« Un instant après l’autre »
« James et Diana Miller vivaient dans une petite communauté de retraités en Floride. Ils étaient mariés depuis quarante-deux ans. Leur fille Sheila vivait aussi chez eux, après un accident qui l’avait laissée temporairement en fauteuil roulant. Sa présence était source de disputes pour ses parents. » Sheila souffrait d’addiction. Renaldo McGirth était l’ancien dealer de Sheila. Diana Miller est décédée d’une balle dans la tête. En 2008, Théodore Houston, l’un des complices, désigne Renaldo McGirth comme étant le tireur. « Il est devenu, à vingt ans, le plus jeune condamné dans le couloir de la mort aux États-Unis. »
La prison, cet enfer
Le troisième personnage principal du roman graphique est bien sûr la prison. Toute la froideur, la noirceur et la violence de l’univers carcéral y est décrit, à commencer par la cellule même de Renaldo McGirth. « Son monde tient dans cinq mètres carrés et toutes ses affaires dans une cantine métallique. Il n’y a pas de fenêtre. La lumière vient uniquement d’une barre de néon au plafond. » C’est une boîte et il attend d’être mis dans une autre boîte qui « privera ce corps de ses fonctions vitales ». Pour accentuer la violence prégnante dans la prison, Valentine Cuny-Le Callet explique la procédure d’injection létale qui se veut une « mort humaine et digne » et relate quelques épisodes qui ont parfois tourné au drame. Elle ajoute que « Rien de cela n’est secret : on peut trouver sur internet maints rapports officiels, détaillés, illustrés parfois, faisant état de chaque étape de cette torture légale et monstrueuse ».
Un racisme profondément ancré
« À Ocala, devant la cour pénale qui a condamné Renaldo, se dressait une statue à la gloire des États confédérés, défenseurs de l’esclavage pendant la guerre de sécession. » En précisant que « la statue a été déplacée dans un parc de la ville dédié à la mémoire des vétérans américains de toutes les guerres », Valentine Cuny-Le Callet met l’accent sur le racisme ambiant aux États-Unis. Alors qu’elle cherche à styliser Renaldo, elle se replonge dans l’histoire de l’imagerie raciste, européenne et américaine. L’auteure « pense à l’imagerie de l’enfant noir souriant à pleine dents, au racisme, conscient ou inconscient, qu’elle sous-entend parfois ». À Chicago, Valentine Cuny-Le Callet se rend à la maison d’Ida B. Wells, ancienne esclave devenue journaliste, pionnière des droits des noirs et de l’émancipation des femmes. Elle a notamment publié « La loi du lynch », où elle dresse la liste de toutes les accusations ayant conduit à des lynchages. « En 1955, Emmet Till, un garçon noir de quatorze ans, a été torturé, défiguré et noyé, pour avoir soi-disant sifflé une femme blanche. » Valentine Cuny-Le Callet précise que si les faits remonte à près de soixante-dix ans, l’histoire reste présente, « tant la plaque commémorative qui marque l’endroit où l’on a retrouvé son corps se fait sans cesse cribler de balles ». La prison « censure [également] tout ce qui ne correspond pas à leur façon de voir les choses, tout particulièrement quand il s’agit de la culture noire, ou de cultures qui ne se conforment pas parfaitement à l’idéal américain ».
Les mots de Valentine Cuny-Le Callet quelques mois après son prix
« J’ai commencé à correspondre avec Renaldo quand j’avais 19 ans », explique Valentine Cuny-Le Callet. J’avais très peu de certitudes, j’ignorais avec qui j’allais être mise en contact, j’ignorais si j’allais réussir à maintenir une correspondance sur le temps long, même si je l’espérais. À l’époque (et toujours maintenant) je me destinais à l’écriture et l’illustration de livres pour enfants. J’aurais donc eu bien du mal à préméditer « Perpendiculaire au soleil ». C’est un projet qui a pu naître de notre rencontre à la fois étrange et heureuse avec Renaldo. C’est aussi un projet qui s’est construit de façon « organique », au fil des chapitres. Si j’avais réalisé un plan, un chemin de fer, et réalisé que l’ouvrage allait faire plus de 400 pages, je pense que j’aurais été effrayée par la masse de travail à accomplir et, potentiellement, le projet ne se serait jamais fait. »
« Dans une certaine mesure, je n’ai pas eu le « choix » de faire ce livre. Ça me brûlait le ventre en quelque sorte. Ce livre remplit trois « fonctions » :
– Un usage personnel, car sa création m’a permis de mettre mes propres idées au clair, de développer certains questionnements, par le texte et par le dessin.
– Un usage amical, car je surnomme cette bd « le bébé de notre amitié » à Renaldo et moi. C’est une belle étape pour notre amitié, qui continue encore aujourd’hui. Renaldo m’a dit que ce livre lui faisait « faire partie du monde », ce qui m’a immensément touchée.
– Un usage pour le public, afin de partager une histoire qui, bien que singulière, permet de parler plus largement du système carcéral, aux États-Unis mais pas seulement, de la notion de punition, du racisme, de l’inégalité de classe… »
Avec Perpendiculaire au soleil, Valentine Cuny-Le Callet signe une œuvre symbolique. Bien plus que le récit d’une correspondance entamée à l’âge de ses 19 ans avec un condamné à mort – un Afro-Américain – l’auteure montre toute l’ampleur de la violence en prison ainsi que le racisme prégnant aux États-Unis. Cela se traduit par l’épisode des portraits de personnalités noires qu’elle envoie à Renaldo McGirth et que la prison juge que les images vont à l’encontre de l’idéal américain. Rien n’a réellement changé depuis la ségrégation. La présidence Trump l’a d’ailleurs montré. Le racisme a encore de beaux jours devant lui aux États-Unis… Valentine Cuny-Le Callet a pu rencontrer Renaldo McGirth. Ils sont devenus amis au fur et à mesure de la correspondance. En raison du droit, même si le roman grahique a été composé à quatre mains, le nom de Renaldo McGirth ne peut pas figurer sur la couverture… Perpendiculaire au soleil est paru aux éditions Delcourt et a reçu le prix Fnac France Inter le 5 janvier 2023.
Le Petit Reporteur remercie Valentine Cuny-Le Callet pour nous avoir fait un retour quelques mois après avoir reçu le prix Fnac-France Inter. Vous pouvez la retrouver sur son compte Instagram.
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