Algues vertes, l’histoire interdite est un roman graphique issu de la longue enquête de la journaliste Inès Léraud. Il montre l’omerta qui gravite autour du scandale sanitaire des algues vertes en Bretagne.
Les algues vertes sont un problème de santé publique en Bretagne. Elles s’accumulent sur les plages, allant jusqu’à former des amas qui blanchissent et se confondent avec le sable, créant un piège qui s’avère mortel. La putréfaction des algues génère des poches de gaz. Leur odeur d’œuf pourri caractérise bien l’hydrogène de sulfure, ou H2S, qui « libéré en quantité importante, anesthésie le nerf olfactif (ce qui le rend indétectable), paralyse le système nerveux et respiratoire… et tue aussi rapidement que du cyanure. »
Une histoire de morts suspectes sur la plage
En 1989, on retrouve un joggueur en baie de Saint-Michel-en-Grève (Côtes-d’Armor). À l’époque, le médecin urgentiste Pierre Philippe se charge de constater le décès. Dix ans plus tard, le 5 juillet 1999, un ramasseur d’algues, Maurice Briffaut, fait un malaise au volant de son tracteur au même endroit. Le 12 juillet 2008, les deux chiens d’Aurore Blairon, assistante vétérinaire, meurent en même temps et au même endroit d’un infarctus en baie d’Hillion (Côtes-d’Armor). Le médecin urgentiste décide d’alerter André Ollivro de l’association Halte aux marées vertes. Ce dernier contacte Thalassa. Le reportage de Thalassa provoque un véritable tollé chez les élus bretons. Yves Bonnot, maire de Perros-Guirec, ancien président du comité régional du tourisme, dénonce « un parti pris polémique de la part d’une chaîne publique ». François Bouriot, maire de Trélevern, déplore quant à lui que « sa commune touristique littorale a été sinistrée par France 3 ».
Le remembrement à marche forcée vers la modernisation
« Pourquoi ce silence, ce malaise autour des victimes des algues vertes ? » Après la Seconde Guerre mondiale, la France n’est pas encore industrialisée. En 1947, après la signature du « plan Marshall », la France modernise son agriculture sur le modèle américain. Ainsi, pour mieux répondre à la demande du marché international, le remembrement des terres agricoles commence à partir des années 60. Les grands champs remplacent les petites parcelles travaillées avec des chevaux. Les quelques agriculteurs qui osent se rebeller contre le remembrement sont gazés, voire blessés, lors d’une manifestation à Trébrivan. « Les haies et les talus sont arrachés, les rivières sont comblées et asséchées, les rideaux d’arbres disparaissent… » En arrière-plan, le remembrement permet l’émergence des usines grâce aux centaines de milliers de paysans qui viennent travailler sur les chaînes. En parallèle, les élevages hors-sol apparaissent et se développent, à grand renfort d’une alimentation animale basée sur le modèle américain. Les phosphates et nitrates issus de cette agriculture polluent les littoraux, les premières « marées vertes » apparaissent en 1971 mais ce n’est qu’en 1999 que l’État reconnaît officiellement l’origine agricole des marées vertes.
L’affaire qui relance la machine
Le 28 juillet 2009, un cavalier, Vincent Petit, vétérinaire, est retrouvé inconscient à côté de son cheval mort. Le médecin urgentiste Pierre Philippe est de nouveau sur le coup. Cette fois-ci, il en est sûr : « les algues tuent et [il ira] jusqu’au bout pour alerter le public ». Le 20 août 2009, à la suite de la médiatisation de l’affaire du cavalier, quatre ministres se rendent sur la plage de Saint-Michel-en-Grève. La faute revient malgré tout rejetée au vétérinaire. Les juges estiment qu’il a plutôt été « victime d’un choc émotionnel ». Le combat continue cependant. La mort de Thierry Morfoisse, qui survient après qu’il a convoyé des algues vertes sans protection, quelques jours avant Vincent Petit, a été finalement reconnue accident du travail le 14 juin 2018 par le tribunal des Affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc.
En 2006 la DDASS avait fait mesurer la quantité d’H2S sur la plage de Saint-Michel-en-Grève. Les scientifiques avaient alors constaté une saturation du détecteur. La DDASS avait informé du danger mortel mais le public restait dans l’ignorance. Pourquoi ? Parce que les algues vertes résultent d’une politique agricole intensive qui a permis le développement de la Bretagne. Les ramifications entre le pouvoir et les industriels sont nombreuses. C’est ce qu’a découvert Inès Léraud lors de son enquête. Elle a souhaité lever l’omerta sur toute une filière qui finalement génère un problème de santé publique.
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