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Racines, les cheveux de la honte

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Racines de Lou Lubie raconte l’histoire de Rose et de ses cheveux. Du calvaire à l’acceptation, le roman graphique est plus qu’un divertissement. Il est un manuel pédagogique et une vraie thérapie vers l’acceptation de son identité.

« J’ai grandi à l’Île de la Réunion, et dans ma famille, j’étais la seule à avoir ces cheveux envahissants. » dans Racines de Lou Lubie, Rose souhaite avoir des cheveux lisses. Derrière cette anecdote, l’autrice dénonce une discrimination bien ancrée dans nos sociétés. Le chemin vers l’acceptation sera long et difficile.

Lou Lubie - Racines
Racines, couverture Lou Lubie, Delcourt.

Racines, un manuel pédagogique

Le roman graphique de Lou Lubie se pose comme un véritable manuel pédagogique à l’usage des personnes qui ont les cheveux frisés. À travers les planches, les lecteurs et les lectrices découvrent un véritable travail de documentation sur les cheveux. Racines montre que les commentaires sur l’apparence des femmes vont bon train. Le lissage étant symbole de beauté par excellence, les femmes mettent tout en œuvre pour s’approcher de ce modèle social. Être belle, avoir de beaux cheveux lisses passent alors nécessairement par des dépenses considérables dans des produits de beauté, des shampoings, des perruques, etc. et « [l]es femmes ont tellement besoin d’être belles qu’elles paieront quand même ! »

Cheveu lisse et cheveu frisé, quelle différence ?

L’humanité a fait son apparition sous le climat chaud de l’Afrique. C’est pour cette raison que les hommes avaient un cheveu en spirale, fin, aéré pour les protéger des U.V. Les hommes ont ensuite migré vers des latitudes plus froides. Le cheveu a alors pris en épaisseur de manière à isoler le crâne. Ainsi, pour le personnage de Rose, le brushing est la panacée. Plus tard, elle décide de se raser la tête, ce qui la bannit alors de la féminité. La grande question qui vient alors : « Notre apparence reflète-t-elle notre identité ? Ou, au contraire, nous conformons-nous à notre apparence ? »

Une industrie du défrisage souvent hors des clous

Pour être belles, les personnes se font défriser les cheveux. Pour cela, elles doivent se rendre dans des salons de coiffures spécialisés. Il faut savoir que les employés qui travaillent dans ces salons sont souvent des personnes en situation irrégulières. « Selon la CGT, 90 % des travailleurs ne seraient pas déclarés. Beaucoup sont des sans-papiers. Les rabatteurs repèrent les coiffeuses étrangères isolées et leur promettent du travail. » Un rabatteur explique à une jeune coiffeuse étrangère que « comparé à la prostitution, c’est mieux… » Ces travailleuses se tuent à la tâche de 6 h à 23 h. Elles n’ont pas le droit de faire de pause. Qui plus est, elles ne touchent que 40 % du prix des prestations. « En 2014, ce système mafieux est dénoncé lorsque, après deux mois sans avoir été payés, les employés du  » 57  » [à Paris] se mettent en grève. » Les gérants sont condamnés en 2016.

Le défrisage met à jour une discrimination d’ordre raciale

Si le défrisage passe pour une pratique esthétique, il est lourd de symboles. Le cheveu frisé renvoie aux personnes noires, métisses et créoles. Il est également synonyme de cheveu sale, puisqu’au temps de la traite négrière, les esclaves venus d’Afrique ne pouvaient pas s’occuper de leurs cheveux, faute de temps. Les esclaves domestiques sont alors les premières à se lisser les cheveux, s’approchant ainsi du modèle dominant. C’est pourquoi aujourd’hui, « [p]artout dans le monde, les femmes africaines et afrodescendantes se défrisent les cheveux. » Les cheveux africains sont ainsi dénaturés. Le défrisage constitue pour l’UNESCO une des séquelles psychologiques de la traite négrière.

Le cheveu frisé dans le monde professionnel

Les cheveux frisés sont synonymes d’un manque de compétences. Lou Lubie relate le cas d’Aboubakar Traoré, stewart chez Air France. En 2005, s’il veut continuer d’exercer son travail à bord, il doit porter une perruque. « Les cheveux frisés / crépus ont 2,5 x plus de risques d’être perçus comme  » non professionnels « . » Il fera d’ailleurs une dépression et finira par être licencié. L’héroïne de Racines Rose est elle-même victime de préjugés ou de remarques, en témoigne l’épisode où son manager lui demande de « faire quelque chose avec [s]es cheveux » parce qu’un ministre doit passer bientôt.

Les conséquences du défrisage sur la santé physique et mentale

Côté santé, la pratique du défrisage n’est pas sans risque. Elle augmente les risques de cancer du sein (+ 30 %) et de cancer de l’utérus (2,5 fois plus). Racines évoque aussi un autre problème de santé : quand ses racines repoussent, Rose en fait une maladie. Son amie, lui demande alors si elle ne souffre pas de dysmorphobie. Pour rappel, il s’agit d’un trouble de la perception de son corps, caractérisé par une obsession pour un défaut physique inexistant ou léger qui cause de la souffrance et affecte le comportement. Cela se traduit chez Rose par le fait de se regarder compulsivement dans le miroir, de de réarranger, de triturer ou d’essayer de dissimuler ses cheveux, de ressentir un stress ou une anxiété intense, d’avoir l’impression que tout le monde ne regarde que ça, de se comparer sans cesse aux autres ou encore d’avoir du mal à se montrer en public et à ne plus sortir. Ce trouble la pousse vers un autre : le défrisage devient une addiction.

L’émergence du mouvement Nappy

Au fur et à mesure de l’histoire, Rose se reconnecte à son identité et se rend compte qu’elle n’est pas seule. L’actice Yasmin Finney, l’nfluenceuse Léna Situations, l’autrice Leïla Slimani ou encore la militante Rokhaya Diallo osent aujourd’hui marquer leur racines créoles à travers le mouvement Nappy, « Natural + Happy ». Les personnes se réapproprient leurs cheveux frisés mais les préjugés restent tenaces. Cela vient du manque de compétences des coiffeuses ou encore de l’industrie capilaire qui s’en met plein les poches avec des produits hors de prix.

Racines, de la honte à la reconnection avec son identité

Quand elle était petite, Rose avait un jeu des sept familles sur le thème de la Réunion. Sa carte préférée était la fille blonde de la famille Zoreil. « J’ai passé ma vie à vouloir ressembler à la fille Bompain et pécho le fils Bompain », dit Rose à la fin du roman graphique. À travers cette histoire, Lou Lubie prouve que la quête pour ressembler à la femme parfaite, c’est-à-dire à une femme aux cheveux lisses, déconnecte les femmes africaines et afrodescendantes de leur identité propre, de leurs racines. « En revenant au cheveu naturel, j’avais comblé l’écart douloureux entre l’identité que je renvoyais au monde et mon identité propre. »

Racines de Lou Lubie est plus qu’un roman graphique. À travers le récit de Rose, qui a du mal à accepter ses cheveux frisés, c’est toute une remise en question des normes de la société qui se joue. Le récit met en lumière les discriminations raciales et sociales mais aussi, en arrière-plan, les questions de santé publique à travers les produits de beauté pour le défrisage.

La bande dessinée Racines de Lou Lubie est en vente sur la boutique en ligne des éditions Delcourt.

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